Mémoire en ligne de l'Académie

 

BICENTENAIRE DE LA NAISSANCE DU PERE DASSY

150e anniversaire de la fondation

de l’Institut des jeunes aveugles

 

 

Eliane Richard,

Membre de l’Académie des sciences, lettres et arts de Marseille

Conférence IRSAM, 8 décembre 2008

 

 

 

     En 1938, pour le cinquantenaire du décès de l’abbé Dassy, le révérend père Marius Deves lui consacrait une biographie de 440 pages. Réalisée à partir des archives détenues par les oblats et par la communauté des Sœurs de Marie-Immaculée, c’est une véritable somme sur la vie et l’œuvre du fondateur de l’Institut. Beaucoup d’entre vous la connaissent certainement et mon intervention ne leur apprendra peut-être pas grand-chose. Néanmoins, en ce bicentenaire de la naissance du père Dassy et pour le 150e anniversaire de la fondation de la maison des jeunes aveugles, il m’a été demandé de brosser à grands traits l’itinéraire de celui qui fut, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Marius Deves, « un apôtre, un savant, un héros de la charité ».

     Du missionnaire, je parlerai peu, laissant à d’autres plus compétents que moi le soin d’évoquer ce que fut l’homme de foi qui consacra sa vie à Dieu. Sur le bienfaiteur, je m’étendrai davantage en rappelant, ce que beaucoup savent déjà, son action au service des jeunes aveugles et des jeunes sourds. Mais je m’attarderai sur un aspect peut-être moins connu du personnage, le savant, que l’Académie de Marseille accueillit en son sein et dont il devint un des membres les plus actifs. Ce qui explique la présence de l’Académie, aujourd’hui, à cette cérémonie commémorative.

 

 

 

Louis-Toussaint Dassy fut d’abord un missionnaire.

 

     Il naît le 1er novembre 1808 rue d’Albertas devenue ensuite rue de la Darse et aujourd’hui rue Francis-Davso, à l’angle de la rue Lulli, dans une famille de marbriers et de tailleurs de pierre. Il est le huitième d’une fratrie de dix. Ses parents sont très pieux et trois de ses sœurs entreront au couvent. Lui-même est élevé à l’institution Cauvière, un établissement réputé de la rue Breteuil. En 1820, l’année de sa communion qu’il fit à Saint-Victor, est aussi celle de la grande Mission de Marseille organisée « en expiation de tous les crimes commis pendant la Révolution ». Celle-ci dure deux mois et l’impressionne fort. Il entre ensuite à l’œuvre Allemand, rue Saint-Savournin, au séminaire puis au grand séminaire. Ce dernier était alors dirigé par les Missionnaires de Provence, une congrégation fondée en 1818 par Eugène de Mazenod (qui n’était pas encore évêque) pour prêcher l’Évangile sur le territoire national après la vague de déchristianisation révolutionnaire. Par la suite, les missionnaires, devenus oblats de Marie-Immaculée lors du décret pontifical de 1826, essaimeront outre-mer dans les Iles britanniques et sur les continents nord américain, asiatique et africain. En 1829, Louis Dassy, après avoir affronté puis vaincu l’opposition paternelle, entre chez les oblats ; il est ordonné prêtre en 1831 à Fribourg, en Suisse, où Eugène de Mazenod avait transféré le noviciat après la révolution de 1830.

     Commence alors sa carrière de missionnaire, d’abord en Suisse, dans le pays de Gex, puis en France. Selon les termes mêmes de leur fondateur, les oblats ne devaient pas chercher à être ces « excellents prédicateurs » que l’on s’arrache dans les paroisses urbaines mais des prédicateurs efficaces « dans les bourgs et les villages, pour y venir au secours des âmes abandonnées ». Partout où il passe, l’abbé Dassy s’efforce de se conformer à la règle. Mais plus encore qu’un prédicateur, il est un fondateur.

     En 1834, il est envoyé dans le Dauphiné où il reste douze ans et participe activement à l’implantation d’une communauté d’oblats à «Notre Dame de l’Osier». On lui doit ensuite, en tant que supérieur, trois autres fondations : d’abord «Notre-Dame de Bon-Secours» dans le bas Vivarais, en 1846-1847 ; puis en Lorraine de 1847 à 1850 où, après avoir installé la maison de Nancy, il prépare la difficile succession des oblats à «Notre-Dame de Sion» ; enfin dans le Bordelais, en 1851 et 1852, c’est la non moins difficile reprise du sanctuaire de « Notre-Dame de Talence ». En octobre 1853, Eugène de Mazenod, supérieur général des oblats et, depuis 1837, évêque de Marseille, nomme le père Dassy supérieur de la maison du Calvaire à Marseille. Le temps d’accomplir encore une brève mission, en janvier-février 1854, auprès de l’évêque d’Orléans Mgr Dupanloup, pour installer les oblats à « Notre-Dame de Cléry », et le voici qui retrouve enfin sa ville natale, après vingt-quatre ans d’absence. Il ne la quittera plus, sauf pour de brefs déplacements, pendant les trente-cinq ans qui lui restent à vivre.

     Il réside alors dans la première maison des oblats implantée en 1821 au Calvaire des Accoules, à proximité de la croix de mission de 1820. C’est là qu’il se dévoue avec sa communauté lors du choléra de 1854 qui fit des ravages, surtout dans les vieux quartiers. C’est là aussi qu’il prêche le Carême et les retraites, qu’il dirige les missions et qu’il organise les fêtes du Saint-Sacrement ou de l’Immaculée-Conception dont le dogme vient d’être proclamé. C’est là enfin qu’il développe un projet de grande envergure, conçu alors qu’il était encore à Nancy et qu’il a mûri à Bordeaux. Il le présente à Mgr de Mazenod et lui demande la faveur d’être transféré comme membre de la deuxième communauté des oblats de Marseille, installée depuis 1850 à Notre-Dame de la Garde. En 1857, l’évêque lui donne satisfaction. Au seuil de la cinquantaine, le père Dassy est désormais à pied d’œuvre pour créer, non loin de là, une œuvre de bienfaisance et de charité, selon le langage de l’époque, l’Institut des jeunes aveugles auquel son nom restera attaché.

 

Un héros de la charité

    

     Le terme de héros peut paraître excessif mais il s’explique quand on sait les obstacles auxquels il va se heurter. Le père Dassy est un homme de caractère, comme en témoignent ses précédentes fondations, ce qui lui vaut quelques problèmes relationnels avec son entourage comme avec sa hiérarchie mais ce qui lui confère aussi une énergie peu commune. À Marseille, recruter les pensionnaires de son futur Institut ne fut guère compliqué dans une ville qui, d’après ses propres estimations, comptait une trentaine de jeunes aveugles et une quarantaine dans ses environs immédiats ; il lui suffit de sillonner les rues de la vieille ville et de prendre contact avec les congrégations enseignantes pour réunir rapidement les premières fillettes.

     Il est plus difficile de mettre en place la structure destinée à les accueillir. Le futur fondateur rêve d’établir à cette intention une congrégation spécifique, les sœurs de Marie-Immaculée. Mais il doit pour cela braver la réticence de l’évêque peu favorable à la création d’une nouvelle communauté religieuse : Mgr de Mazenod approuve l’œuvre dès 1858 mais il n’autorise la prise d’habit des sept premières novices que l’année suivante et les vœux ne seront prononcés que le 15 août 1861. La reconnaissance légale de la congrégation n’est obtenue par décret impérial que le 6 juillet 1870. Et il faut attendre encore le troisième successeur d’Eugène de Mazenod pour qu’en décembre 1886, deux ans avant la mort de l’abbé, les règles et constitutions soient enfin approuvées par Mgr Robert, mieux disposé que ses deux prédécesseurs (Mgr Cruice et Mgr Place) envers le directeur de l’œuvre. Trente ans se sont donc écoulés depuis la fondation, trente ans d’attente, d’opiniâtreté, parfois d’angoisse dont témoignent les correspondances échangées tant avec les autorités civiles et religieuses qu’avec ses collaboratrices.

     Dans ces conditions, trouver celles qui allaient prendre en charge, éduquer et instruire les jeunes aveugles n’est pas chose aisée. Le père Dassy va de déconvenues en déconvenues. Il se heurte à l’opposition parfois violente, voire aux calomnies de parents peu enclins à laisser leurs filles partir à l’aventure dans une communauté séculière que la hiérarchie ecclésiastique tarde à reconnaître ; certaines parmi les premières recrues font défection, d’autres se lassent et rejoignent d’autres communautés. Mais dans ces débuts difficiles, il peut compter sur le soutien indéfectible de deux d’entre elles, sœur Aspasie-Joseph Roux, 40 ans, fille d’un avocat, qui allait devenir la première supérieure de la  congrégation et surtout Marie Bouffier, une jeune fille de 21 ans, sa proche parente, qui allait être, selon les propres termes du père Dassy, « la première pierre et la pierre angulaire » de l’édifice qu’il tente de construire

 

 

     Il reste à trouver un local. En 1858, l’œuvre s’installe dans un immeuble qu’elle loue et aménage au 59, chemin de la Madeleine (aujourd’hui boulevard de la Libération), grâce au soutien de quelques généreux bienfaiteurs. Très vite la maison voisine est également louée pour y loger cinq petits garçons qui viennent rejoindre les onze premières fillettes. Puis, le nombre de pensionnaires augmentant, il faut songer à déménager. Le père Dassy avait repéré sur la colline de la Garde, non loin de la maison des oblats, deux terrains contigus avec maison, chapelle et jardin dont il fait l’acquisition en janvier 1859. Le 1er mai suivant, Mgr de Mazenod pose la première pierre de ce qui allait devenir l’Institut des jeunes aveugles (elle est encore visible aujourd’hui scellée au bas du mur, montée de l’Oratoire). Un an plus tard, le 6 mai 1860, on inaugurait en grande pompe un bâtiment de deux étages sur rez-de-chaussée et vastes sous-sols. Ce n’était que le premier d’un ensemble plus vaste qui allait se construire au fur et à mesure du développement de l’œuvre.

     En 1866 en effet, l’abbé Dassy hérite un établissement de sourds-muets qui avait été fondé en 1819 par M. Bernard, 75, rue Saint-Savournin. Deux ans plus tard, face à l’afflux des pensionnaires, il le transfère 66, cours Devilliers (Franklin-Roosevelt) et fait le va-et-vient, en attendant de pouvoir installer les jeunes sourds à l’Institut. C’est chose faite en 1879 dans de nouveaux locaux construits à cet effet sur des terrains adjacents, rue des Marseillais, aujourd’hui rue Dassy. Entre les deux établissements désormais réunis, s’élève la chapelle dont la construction fut réalisée grâce à de généreux donateurs, au premier rang desquels Mme Noilly-Prat qui fit don de l’autel.

     Un tel développement de l’institution ne pouvait se faire en effet sans d’importants concours financiers. Le père Dassy se met donc en quête. Il sollicite l’Empereur, l’Impératrice, le maire, le préfet et les notables de la ville. Il bénéficie de l’aide de plusieurs dames de la haute société groupées en conseil de patronage : on y relève les noms de Mmes Chambon, Grandval, Arnavon, Luce, Hesse, etc. Enfin, des religieuses participent de leurs propres deniers à l’achat des terrains. C’est le cas de Marie Bouffier qui multiplie les acquisitions foncières pour le compte de la communauté, au fur et à mesure qu’elle recueille tout ou partie de son héritage.

     Reste encore pour le père Dassy à assurer la bonne marche, matérielle et spirituelle, des deux maisons, celle des sourds et celle des aveugles. Il lui faut s’initier et initier les sœurs aux pratiques spécifiques de l’instruction de ces enfants handicapés. Il doit aussi s’efforcer de trouver du travail à ces jeunes à la sortie de l’institution. Toutes ces démarches, ces soucis, ces responsabilités envahissent le quotidien du père au point qu’il ne peut plus donner le temps nécessaire aux oblats de Notre-Dame de la Garde, dont il a été nommé supérieur en 1862 : c’est à ce titre en effet qu’en 1864 il organise la cérémonie de consécration de la nouvelle église. Mais l’année suivante, sous la pression de Mgr Cruice, il doit quitter la communauté des oblats. Désormais sécularisé, il peut consacrer plus de temps à l’institution.

     Dans cette tâche, il bénéficie depuis la première heure du concours de sœur Marie Bouffier. Sur l’itinéraire et la personnalité de la cofondatrice de l’Institut, je ne dirai que quelques mots. Je lui ai en effet consacré en 2001, mon discours de réception à l’Académie de Marseille et ce serait une redite pour plusieurs de mes confrères et consœurs. Je me contenterai donc de rappeler brièvement la part qu’elle a prise à la fondation et à la réussite de l’œuvre.

     Alors qu’elle était encore adolescente, le père Dassy l’avait formée dans cette perspective. La correspondance échangée entre eux et conservée dans les archives des sœurs prouve que, pendant trente ans, ils partagent tous les soucis inhérents à la fondation et à la gestion de l’Institut. En 1860, encore trop jeune pour être supérieure, elle s’initie à l’alphabet Braille et se consacre à l’enseignement de la lecture. À 30 ans, elle assume la direction de la maison des aveugles. À 40 ans, elle va mettre en place à Lyon une communauté de sœurs pour prendre en charge un établissement similaire qui, aujourd’hui, fait toujours partie de l’IRSAM. À 44 ans, au décès de la supérieure, mère Joseph Roux, elle la remplace à la tête de la communauté. Le processus s’achève en 1888 à la mort du fondateur : elle a 52 ans et va assumer désormais pendant trente-deux ans, sous le contrôle moral de l’évêché, la direction effective de l’ensemble des établissements, ceux de Marseille et de Lyon mais aussi ceux qu’elle créera à Nice, Fribourg et Talence.

     Cette petite digression n’est pas totalement étrangère à notre sujet. Car comment l’abbé Dassy aurait-il pu sans l’étroite collaboration de Marie Bouffier ajouter à ses lourdes charges de directeur celles qu’il assume aussi à l’Académie de Marseille ? Car missionnaire et fondateur, il est aussi devenu académicien.

 

 

 

L’académicien

 

      Alors qu’il va avoir 50 ans et qu’il vient de fonder l’Institut, Louis Dassy est élu, cette même année 1858 à l’Académie des sciences, lettres et arts de Marseille. C’était il y a 150 ans : pour nous aussi, c’est donc un anniversaire. À l’Académie, il va retrouver son frère aîné, le peintre Joseph Dassy qui occupe les fonctions de conservateur du musée de Marseille. Mais pourquoi donc Louis Dassy est-il élu, lui aussi ? Ce n’est pas pour ses activités missionnaires extérieures à Marseille et donc peu connues de ses futurs confrères ; ce n’est pas non plus pour sa fondation marseillaise qui voit à peine le jour. C’est pour ses activités scientifiques.

      Louis Dassy en effet se passionne pour l’archéologie. Faut-il voir un lien entre son goût pour les vieilles pierres et les activités de marbriers et de sculpteurs sur marbre que pratiquent son père et deux de ses frères, dont Hippolyte, celui qui a épousé la sœur aînée de Marie Bouffier ? Peut-être. Ce qui est sûr c’est qu’il a le goût des belles constructions, comme en témoignent toutes celles qu’il a réalisées ou aménagées dans ses années d’apostolat.

      Les premiers indices que nous avons de son intérêt pour les monuments anciens datent de son séjour en Dauphiné. On sait qu’il visite la nécropole des rois de Sardaigne, à l’abbaye de Hautecombe ; il correspond aussi avec le « Comité historique des arts et monuments » qui lui adresse gracieusement deux volumes d’Eléments de paléographie . À Notre-Dame de l’Osier, il organise, une heure par semaine, des réunions au sein de la communauté sur « l’histoire religieuse de nos monuments » et lui-même complète une monographie du sanctuaire qui attire l’attention du public. Il se présente alors comme « le missionnaire des études archéologiques ». En effet, il suggère à l’évêque de Grenoble l’idée d’un cours d’archéologie dans les séminaires. Quand celui-ci le charge de la recension des monuments religieux diocésains et que, au vu de son rapport, il crée une « Commission ecclésiastique des monuments religieux du diocèse et d’archéologie chrétienne », l’abbé Dassy en devient le secrétaire général. Aussi est-il est nommé correspondant du ministère de l’Instruction publique pour les travaux historiques.

      Toutes ces activités n’enthousiasment guère Mgr de Mazenod qui craint qu’elles ne détournent l’abbé de sa véritable mission mais, connaissant « son activité et sa facilité pour le travail », il finit par céder du bout des lèvres, tout en multipliant les réserves. L’abbé peut donc faire paraître sa monographie sur L’abbaye de Saint-Antoine en Dauphiné « un lieu fameux de pèlerinage où pendant 600 ans tout ce qu’il y a eu de grand en Europe est venu vénérer les reliques du patriarche des cénobites d’Orient ». Quand cette publication l’entraîne dans une polémique sur fond de guerre des reliques avec la ville d’Arles, il rédige une brochure sur Le trésor de l’église abbatiale de Saint-Antoine en Dauphiné. L’évêque de Marseille n’en continue pas moins à exprimer son scepticisme envers le violon d’Ingres de l’abbé. « Peu de personnes, écrit-il, s’intéressent à ces sortes d’ouvrages ; soit dit en bonne paix avec tous les archéologues du monde. »

      Pourtant, partout où il passe, le père Dassy se signale aux érudits locaux : à Nancy par exemple, la société « Foi et Lumière » qui regroupe l’élite intellectuelle de la ville l’accueille parmi ses membres. Mgr de Mazenod lui même finit par apprécier ses compétences : quand il le rappelle à Marseille en 1853, il souhaite le voir participer à l’élaboration d’une Histoire monumentale de la ville et du diocèse. Le père Dassy s’y attelle et, très vite, il déplore destructions et disparitions : les fonts baptismaux des Accoules partis pour Angers ou la statue de Crinas vendue au savant antiquaire Peiresc, par exemple.  Peu de temps après, à l’appui de sa candidature à l’Académie, il présente, outre ses deux ouvrages sur Saint-Antoine, une publication qu’il vient de réaliser sur Les Sceaux de l’Eglise de Marseille au Moyen Âge.

      L’Académie, dans sa séance du 23 avril 1858, examine le dossier : elle note le mérite de ces ouvrages sous le rapport de la recherche et du style. Le dernier sur les sceaux retient son attention : « c’est un travail profond, contenant d’utiles découvertes ainsi que le redressement de beaucoup d’erreurs. » Concernant les deux premiers, elle note le zèle et le talent de l’auteur tout en déplorant que la passion archéologique ne l’entraîne quelquefois au-delà des limites de la vérité : « c’est un écueil qu’il doit chercher soigneusement à éviter » conclut-elle. Il est pourtant élu à l’unanimité, le 12 mai suivant, dans la classe des sciences au fauteuil n°11, qui avait été occupé à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe par un célèbre académicien, le Dr Achard.

      Deux semaines plus tard, le 30 mai, il est reçu en séance publique en présence du supérieur des oblats et évêque de Marseille, Mgr de Mazenod. Il consacre son discours à « l’étude sur les monuments de l’art chrétien primitif », un secteur pionnier, négligé alors par les archéologues « préoccupés, écrit-il, presque exclusivement des merveilles enfantées dans le cours du Moyen Âge. Or l’art chrétien des six premiers siècles de notre ère occupe une large place dans l’histoire » car « le christianisme qui avait créé une civilisation nouvelle avait en même temps créé un art nouveau ». Le département des Bouches-du-Rhône sur lequel il concentre son développement est, dit-il, « la contrée de France qui conserve, et en plus grand nombre et dans la plus riche variété, les monuments qui se rattachent à cette époque ». Quant à « Marseille chrétienne qui a vu crouler tour à tour les églises qui formaient au Moyen Âge sa couronne monumentale, elle a gardé des sarcophages, un autel de marbre de grande valeur, des pierres à inscription encadrant des monogrammes, des reliefs, des croix émaillées et surtout une crypte taillée dans le roc », vestiges dont il démontre tout l’intérêt. Saluant ensuite leur sauvetage pendant la période révolutionnaire et leur conservation au musée grâce aux soins du Dr Achard, il plaide pour un retour dans leur sanctuaire naturel car, dit-il, « les productions d’un art quelconque gagnent à être vues et interrogées à la place qui réfléchit le mieux leur couleur normale ». Et il conclut : « La restauration de la crypte amènera la restitution des marbres chrétiens de notre musée. La crypte marseillaise ainsi restaurée surgira dans sa gloire comme une page retrouvée de l’art primitif, comme une sublime apparition de l’Église de Marseille pendant le dur labeur de son enfantement. » À Saint-Victor, c’est aujourd’hui chose faite.

      La réponse à ce discours est apportée par le président de l’Académie Alexandre Clapier. Il était avocat et ancien député et ses collègues parisiens qui redoutaient son inépuisable éloquence l’avaient surnommé « la plus grande des Bouches-du-Rhône ». Dans sa présentation du récipiendaire, il unit dans un même éloge les multiples facettes d’une personnalité complexe : « Chez vous, résume t-il, l’érudition a été l’élan d’une inspiration religieuse et les investigations du savant ont été avant tout un acte de foi ». Il termine en souhaitant que l’Académie trouve en lui « à la fois un ornement et un soutien » et il voit dans les applaudissements qui ont accueilli son discours, le « signe avant-coureur de ceux que vos travaux à venir provoqueront sans doute en son sein ». 

      Il ne croyait pas si bien dire. Devenu académicien, l’infatigable abbé Dassy ajoute un troisième front à ses activités. Il continue à s’intéresser à l’archéologie : en 1861, il fait partie de la commission archéologique des fouilles de la rue Impériale, aujourd’hui rue de la République, qui révèle nombre de vestiges antiques. Dans le même temps, la construction de la nouvelle cathédrale entreprise en 1857 permet la mise au jour des ruines de l’ancien baptistère : l’abbé Dassy en relève le plan et les détails architectoniques, dans l’espoir de les publier un jour. Par ailleurs, il rédige pour La Revue de l’Art Chrétien plusieurs articles accompagnés de gravures sur les monuments chrétiens primitifs de Marseille ; il rend compte aussi de la dédicace du nouveau sanctuaire de Notre-Dame de la Garde en 1864. Et il ne manque pas une occasion de déplorer, déjà, l’enfouissement et la dilapidation séculaire du patrimoine historique marseillais. Mais en vain ! Mgr Chaillan qui l’a beaucoup fréquenté écrit : « de plus en plus connu et estimé, on venait le chercher pour visiter un vieux mur, examiner une pierre, déchiffrer quelque inscription, lire des monnaies. »

      Pourtant l’abbé Dassy ne tarde pas à trouver un nouveau sujet d’études au sein même de l’Académie, dont il devient rapidement directeur en 1862 puis secrétaire perpétuel de la classe des sciences en 1866, enfin secrétaire perpétuel de la classe des lettres en 1869. À partir de cette date, il n’y eut plus à l’Académie de Marseille qu’un seul secrétaire perpétuel et ce jusqu’en 2004, année du décès du commandant Bergoin ; depuis, l’Académie est revenue à la tradition du double secrétariat. Sitôt installé dans ses nouvelles fonctions, le secrétaire perpétuel s’attaque avec son énergie et sa détermination habituelles au patrimoine de l’Académie, ses archives, ses objets d’art, sa bibliothèque.

 

 

 

 

      L’inventaire des archives avait déjà été entrepris par Casimir Rostan, archiviste de la ville et secrétaire perpétuel de l’Académie, qui avait catalogué les fonds et en avait fait relier une partie en portefeuilles. C’était entre 1806 et 1814. Les archives postérieures à cette date s’étaient accumulées pendant quarante-cinq ans et leur classement n’avait pu être mené à bien par les prédécesseurs de l’abbé Dassy. Celui-ci décide donc de les répartir en grands groupes thématiques et de les ranger dans une quarantaine de belles boîtes, où elles sont toujours. De plus, il obtient la restitution de plusieurs registres, détenus par la municipalité ou par des particuliers et qui viennent compléter ceux qui ont été conservés par l’Académie. Enfin, il procède à ce qu’il appelle un « dépouillement raisonné » de ces différents fonds. Les résultats de cet énorme travail constituent la troisième partie du livre qu’il publie en 1877 sous le titre L’Académie de Marseille, ses origines, ses publications, ses archives, ses mémoires.

      Le sous-titre de cet ouvrage de 640 pages est révélateur de l’étendue du travail réalisé par l’abbé Dassy. Outre les 136 pages consacrées aux archives, il relate dans la première partie l’histoire de l’Académie depuis sa création en 1726. Dans la seconde, il recense toutes ses publications, recueils, mémoires, rapports, notices et autres dont il détaille le contenu ; ce qui couvre 232 pages du livre. Enfin, une dernière partie est consacrée à une minutieuse recension de tous les membres de l’Académie depuis l’origine, qu’ils soient résidants, correspondants, vétérans, associés, honoraires avec, le cas échéant, les fonctions qu’ils ont exercées au sein de l’institution. On reste confondu devant un tel travail que je me risquerais à qualifier de bénédictin, si le père Dassy n’était un ancien oblat.

      À peine ce chantier terminé, le secrétaire perpétuel en ouvre deux autres.

Passionné par les œuvres artistiques, il s’intéresse à celles qui décorent les salles de l’Académie. Il en fait un inventaire descriptif qu’il publie en 1883. Il recense quelques soixante-quinze pièces, par ordre chronologique d’entrée dans les collections, des tableaux, des sculptures, des gravures ou dessins, etc. Pour faire bonne mesure, il y adjoint l’inventaire des meubles.

      Mais déjà il s’est attaqué à la bibliothèque. « Depuis plusieurs années, écrit-il dans un rapport de 1880, les livres et les brochures offerts à notre Compagnie avaient cessé d’être l’objet d’un classement et n’étaient plus inscrits que dans les registres des délibérations. De mois en mois, la place manquant aux nouveaux ouvrages présentés à chaque séance, on les déposait sur des tablettes improvisées et un peu partout dans la salle de nos réunions […]. Il est donc indispensable de prendre une résolution prompte pour faire cesser ce désordre ; on va mettre incessamment la main à l’œuvre et si le travail de cette organisation doit être long, soyez assuré, Messieurs, qu’il ne sera pas discontinué. » Ce qui fut dit, fut fait.

      Dans la préface de son Histoire de l’Académie, l’abbé Dassy écrit : « J’avais à cœur de connaître et d’apprécier dans son étendue la vie académique d’une société qui compte déjà 150 ans d’existence. Toutes les sources d’où cette vie pouvait se révéler à mon étude s’ouvrant sous ma main par suite de mes fonctions de secrétaire perpétuel, il me semblait facile d’exécuter ce projet. Je l’ai donc entrepris avec confiance et poursuivi avec entraînement. Sa réalisation a comblé mes désirs et dépassé mon attente. » À travers ces quelques mots, l’homme de science se révèle avec sa curiosité intellectuelle, sa fougue, sa puissance de travail.

      L’Académie de Marseille reconnaissante ne pouvait que demander pour lui la Légion d’honneur. Elle lui est remise par le préfet Lagarde en 1886, deux ans avant sa mort qui survient le 23 août 1888. L’avis de décès de « Messire Louis Dassy, prêtre » mentionne les titres qui résument sa carrière. L’énumération commence par Secrétaire perpétuel de l’Académie de Marseille et s’achève par Chevalier de la Légion d’honneur.

 

 

      Le souvenir de l’abbé Dassy est toujours très présent à Marseille, principalement sur cette colline où nous nous trouvons aujourd’hui. Sa statue, avec à ses pieds deux jeunes enfants, un sourd et une aveugle, fait face à la ville sur l’esplanade du jardin Puget. Elle a été érigée par le sculpteur Falguière et inaugurée en grande pompe, en présence des autorités civiles et religieuses, le 12 juin 1892, quatre ans seulement après son décès. Le nom de l’abbé Dassy s’inscrit aussi dans la toponymie depuis qu’en 1931 il a été donné à la rue qui longe l’Institut. Enfin, la grande maison blanche qui domine la ville ne peut échapper aux regards. Aux étrangers qui s’interrogent, beaucoup de vieux Marseillais peuvent encore répondre : c’est l’œuvre de l’abbé Dassy.

      C’est là que sa mémoire est toujours honorée, à l’Institut qu’il a fondé et qui depuis son décès ne cesse de se développer, à Marseille et ailleurs, grâce à des supérieures comme Marie Bouffier ou mère Émilienne et à l’association de patronage dont maître Perruchot-Triboulet, son actuel président, vous parlera mieux que moi. À l’Institut, l’abbé Dassy est chez lui, dans la crypte où il est inhumé comme dans la chapelle où le sculpteur Lombard l’a représenté agenouillé. Les sœurs de la congrégation de Marie-Immacculée, aujourd’hui sous la direction de mère Marie-Bernadette, s’inspirent toujours des règles qu’il leur a données et des textes qu’il a écrits à leur intention. Enfin, si les financements, les méthodes d’enseignement et les pratiques de gestion ont dû, avec le temps, s’adapter au monde moderne, l’œuvre n’a point pour autant oublié ses racines qui plongent profondément dans le grand mouvement de bienfaisance et de charité du XIXe siècle.

      Quant à l’Académie de Marseille, elle n’a pas non plus oublié celui qui fut son secrétaire perpétuel pendant vingt-deux ans et qui lui a beaucoup donné, de son temps, de ses compétences, de son énergie. Dans l’une des salles du deuxième étage de notre maison, 40, rue Adolphe-Thiers, un grand médaillon de bronze, sculpté par Marius Guindon en 1889, rend son visage familier à ceux qui fréquentent nos archives.

 

 

 


 

 Pour d’autres, qui ont un jour ou l’autre à consulter les publications, les recueils, les mémoires, les listes de membres de l’Académie, l’ouvrage de référence reste l'Histoire de l’Académie qu’entre nous, nous appelons tout simplement « le Dassy ». Enfin, chaque année, l’Académie de Marseille, réunie en séance solennelle, décerne une quinzaine de prix. Parmi eux, deux ont été fondés en 1920 par Marie Bouffier. L’un qui porte son nom est un prix d’encouragement destiné à un élève de l’Institut ; le second, qui doit couronner un ouvrage ayant trait à l’archéologie, c’est le prix Dassy. Ainsi contribuons-nous, à notre façon, à maintenir vivante la mémoire de celui qui a profondément marqué la vie de notre compagnie.

 

 

 
 

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