Bref historique de l’Académie des sciences,
lettres et arts de Marseille
C’est dans les jardins d’Académos que se
réunissaient dans l’Athènes antique les philosophes, en particulier autour de
Platon. Les académies modernes sont nées dans l’Italie de la Renaissance,
lorsque de petits groupes de gens de lettres, de savants et d’artistes qui
suivaient de façon informelle ce modèle prestigieux se mirent à organiser leurs
activités et à rédiger leurs règlements. Les autorités donnèrent vite leur aval
à ces compagnies savantes, à la fois pour les contrôler et afin de bénéficier
de l’expertise que pouvait leur offrir cette réunion de compétences. Ainsi
Richelieu fonde-t-il l’Académie française en 1635. Les académies fondées avant
la Révolution comptent un nombre fixe de membres, chacun titulaire d’un
fauteuil, qui sont élus par les adémiciens en exercice.
L’Académie d’Ancien
Régime
Sur les trente-deux académies provinciales
d’Ancien Régime, deux étaient provençales. L’Académie d’Arles fut reconnue par
le roi en 1669. A Marseille, quelques notables avaient formé ves 1715 une
société scientifique et littéraire
qui
aurait continué à se réunir dans des bastides
pendant la peste. Le maréchal de
Villars, gouverneur de Provence, la prit sous sa protection et lui
obtint des
lettres patentes d’établissement en août 1726.
L’Académie naissante fut
également grâce à lui affiliée à
l’Académie française, dont il était membre.
Il
fonda le plus ancien des prix que décerne
l’Académie, qui porte son nom. Elle
comptait initialement vingt fauteuils, tenait ses séances
privées (réservées à
ses membres) le mercredi après-midi et aussi une séance
publique annuelle le
jour de la Saint-Louis (25 août). Elle était
dirigée, comme nombre d’autres
académies, par un directeur et un chancelier, renouvelés
tous les ans et par un
secrétaire perpétuel. Les nouveaux membres élus
devaient habiter Marseille et
prononcer devant la compagnie un remerciement. C’est toujours le
cas.
L’Académie désignait aussi des membres
associés - ainsi en 1746 Voltaire, à la
demande de ce dernier.
L’Académie fut d’abord surtout vouée aux
exercices littéraires sous l’impulsion de son premier secrétaire perpétuel, le poète et orateur Antoine de Chalamont de la Visclède
(1695-1760). Après sa
mort, elle fut autorisée en 1766 par lettres patentes à prendre le titre d’Académie des belles-lettres, sciences et
arts. Il s’agissait alors des arts appliqués, c’est-à-dire des techniques, car
une académie de peinture et sculpture avait été formée en 1752 par les artistes
marseillais à des fins d’enseignement. Le nombre de ses membres fut porté à
trente, partagés entre littéraires et scientifiques. Elle rassemblait des
membres des élites anciennes – membres du clergé, officiers de
justice, rentiers versificateurs et collectionneurs – et nouvelles : des membres
des « professions à talents », médecins ou avocats, et de grands
négociants. Daniel Roche a naguère dégagé deux caractéristiques de l’académie
de Marseille : elle s’est comme à Rouen et Caen, ouverte aux protestants
avant même qu’ils soient officiellement tolérés dans le royaume et elle détient
le record français du nombre des gens de négoce ; au total pour le XVIIIe
siècle 22, contre 13 à Rouen, 12 à Nîmes, 10 à Lyon, Orléans et la Rochelle et
six à Bordeaux.
L’académie
avait longtemps été logée à l’arsenal des galères, dont la désaffectation et la
démolition avaient été décidées à l’orée
des années 1780. Grâce à un de ses membres, Victor-Pierre Malouet, intendant de
la Marine à Toulon, et à la protection du ministre de Castries, elle s’établit
en 1781 dans la partie haute de l’ancienne maison des jésuites de Sainte-Croix,
qui jouxtait la montée des Accoules, où se trouvait l’observatoire royal de la
Marine, dont la gestion lui avait été confiée la même année. Elle y tint ses
séances de 1783 à 1793 dans la belle salle néoclassique construite pour elle
par Esprit-Joseph Brun qui est aujourd’hui connue sous le nom récent de Préau
des Accoules. Séances privées chaque mercredi et deux séances publiques dans
l’année ; elle mettait au concours chaque année des sujets dotés de prix.
Par les contributions de ses membres et
par ses concours, l’Académie encourage à la fin de l’Ancien Régime le
développement des savoirs scientifiques et des Lumières. Ces travaux sont
publiés dans les livraisons de ses Recueils.
Elle constitue une bibliothèque et une collection d’histoire naturelle.
Au début de la Révolution, l’Académie proposa de former une bibliothèque publique à partir de la sienne et des livres des couvents supprimés, dont elle en reçoit d’abord le dépôt. Cet ensemble forme aujourd’hui le plus ancien fonds patrimonial de la BMVR de l’Alcazar. Un de ses membres, le docteur Claude-François Achard, sera ensuite nommé bibliothécaire de la ville et créera la bibliothèque et le musée. Le 3 août 1793, la Convention nationale supprimait les sociétés littéraires. L’Académie tint sa dernière séance le 21 août 1793, l’astronome Thulis étant directeur et le docteur Achard secrétaire “en remplacement” du perpétuel, qui avait quitté Marseille. Achard put ainsi préserver les archives de l’Académie.
L’Académie des sciences, lettres et arts
L’Académie avait, peu après sa fondation, choisi pour emblème le phénix et pour devise : « Aux premiers rayons [du soleil], je renais », car elle était persuadée de l’existence d’une académie à Marseille dans l’Antiquité grecque. Cette devise prit un sens nouveau lorsqu’Achard ressuscita l’Académie à travers le « Lycée des sciences et des arts » dès 1799, avec l’aide des astronomes Saint-Jacques de Sylvabelle et Thulis qui avaient dirigé l’observatoire. Plusieurs membres de l’ancienne Académie vinrent les rejoindre et ils cooptèrent aussi des artistes. Cette réunion d’esprits choisis obtint l’appui du premier préfet des Bouches-du-Rhône, Charles Delacroix, qui en devint président. Elle reprit en 1802 le nom d’académie lorsque celui de lycée fut choisi à partir de l’an VIII (1800) pour les établissements d’enseignement secondaire. L’Académie était installée dans le ci-devant couvent des Bernardines (actuel lycée Thiers), siège également de la bibliothèque, du musée et du lycée. En 1806, son nouveau règlement fixa définitivement le nombre de ses fauteuils à quarante. Thibaudeau, successeur de Delacroix, souhaitait qu’elle s’occupe avant tout de travaux scientifiques et d’histoire. Elle devint Académie des sciences, lettres et arts. Elle reprit la publication annuelle de Mémoires. En 1832, elle accueillait Lamartine, de passage à Marseille, qui lui donnait la primeur de son poème Adieux à la France en prélude à son voyage en Orient. Le baron Félix de Beaujour, membre associé, dont le gigantesque tombeau, le plus haut du Père-Lachaise, précise qu’il était « né à Sénas, Bouches-du-Rhône », fonde en 1832 le prix qui porte son nom.
Au cours des XIXe et
XXe siècles, l’Académie sait s’adapter à l’évolution de la société
marseillaise. Certes, selon une situation alors unique en France, Marseille
doit partager avec Aix les facultés : à Aix celles de théologie (supprimée
en 1885), de droit et de lettres ; à Marseille, la faculté des sciences
et l’école de médecine, qui deviendra faculté en 1930. L’Académie marseillaise
doit en fait surtout partager les juristes avec sa soeur aixoise - née en 1829
d’une société antérieure -, car le lycée de Marseille rassemble longtemps
davantage de littéraires que la très modeste faculté d’alors et certains
professeurs aixois habitent Marseille et entrent à son Académie – c’est le cas de Mgr
Antoine Ricard (1834-1895), titulaire de la chaire de dogme à la faculté de
théologie, auteur d’innombrables ouvrages. L’Académie puise aussi ses membres
parmi les autres fonctionnaires en poste dans la ville et dans l’élite
industrielle et portuaire qu’incarne par exemple Jules Charles-Roux. Elle
bénéficie aussi longtemps de l’attachement aux lettres et aux arts de rentiers
instruits ou exerçant des professions encore peu astreignantes. Bien des Académiciens ont laissé par leur
œuvre ou leur action un souvenir que perpétue un nom de rue ou d’un
établissement public. Des spécialistes des sciences et de la médecine : Leverrier,
Lautard, Clot-bey, Heckel, Charles Livon. Des écrivains : Joseph Méry,
Bénédit, Horace Bertin, Edouard Peisson. Des peintres et sculpteurs :
Loubon, Aldebert, Botinelly. Des
musiciens : Albrand, Théodore Thurner, Pierre Barbizet. Des mécènes, tels
Jules Cantini. Certains ont même mérité une statue : Frédéric Mistral, Frantz Mayor
de Montricher, Fortuné Marion, Valère Bernard.
L’Académie avait dû rendre sa salle des
Bernardines à la suite de la construction sous le Second Empire du Palais des
arts (ancienne bibliothèque et conservatoire), où elle se trouvait hébergée en
un local assez étroit. Elle était parvenue, sous la Monarchie de Juillet, à
distendre ses liens avec le pouvoir en place ; mais la contrepartie était une
certaine exiguïté de ses ressources, qui allaient désormais être réduites aux
cotisations de ses membres et à quelques legs. Aussi fut-elle comblée de
bénéficier du don par Madame Dosne, belle-soeur d’Adolphe Thiers, de la maison
natale du premier président de la IIIe République, agrandi de
l’immeuble contigu. Elle put s’y installer en 1902, devenant paradoxalement la
gardienne de la mémoire d’un Marseillais tôt établi à Paris qui ne figura
jamais parmi ses membres.
Comme les autres Académies,
celle de Marseille a été confrontée dans la première moitié du XXe siècle à la création de
nombreuses associations spécialisées dans un aspect des sciences ou de la
culture. Devant la floraison de leurs revues, l’Académie cesse progressivement
l’édition de ses Mémoires
polymathiques. Cependant l’Académie met à profit sa pluridisciplinarité et les
multiples savoirs de ses membres pour conduire une politique exigeante de
conférences et de manifestations, grâce en particulier à son partenariat avec
la Grande bibliothèque à vocation régionale de l’Alcazar, ouverte en 2002, où
elle a retrouvé une salle de séances. Au cours des dernières décennies, elle a
réalisé des ouvrages collectifs tels le Dictionnaire
des Marseillais et le Dictionnaire du
parler marseillais. Bien d’autres projets marqueront les années qui
viennent, jusqu’au tricentenaire de la compagnie en 2026. La doyenne des
sociétés savantes et culturelles de Marseille entend poursuivre ainsi ce
bénévolat de compétences au service de la cité qui est sa raison d’être.
Régis Bertrand (f. 14) et Jean Guyon (f. 6)